26 Février 2024

Multimédia : En 4 minutes, de Venise à Jérusalem au XVème siècle !

de MAYA ABU HANI

Transmettre en 4 minutes l’épopée humaine et spirituelle que représentait le pèlerinage à Jérusalem au XVème siècle. C’est le défi que s’est lancé le Terra Sancta Museum, soucieux de relier les pèlerins d’hier et d’aujourd’hui tout en présentant la mission d’accueil des frères. Suivez-nous dans les coulisses de la réalisation d’un multimédia, acte II.

Nous nous sommes quittés, dans notre précédent article, à la Bibliothèque Nationale de France, à Paris. Nous étions en compagnie de Béatrix Saule, Présidente du Comité scientifique du Terra Sancta Museum. Cette dernière avait réussi à mettre la main sur des images en haute définition des époustouflantes gravures colorisées du peintre hollandais Reuwich publiées, en 1486, dans le récit de voyage de Breydenbach.

 

Gravure de Reuwich figurant dans le récit de voyage de Breydenbach. Bibliothèque Nationale de France

Arianna Zovadelli au nom de la talentueuse équipe italienne Studio Base 2 – à qui fut confiée la réalisation du projet – le confirme : « Il a fallu nous appuyer sur la seule force des images alors que le sujet est dense ! » L’équipe connaissait déjà le Terra Sancta Museum pour avoir travaillé avec Gabriele Allevi, coordinateur des multimédias, au sein du musée d’archéologie. « Nous avons déjà réalisé un multimédia sur les fouilles archéologiques et les grands archéologues franciscains et un contenu pédagogique à destination des publics scolaires sur l’histoire de Jésus » partage Arianna, responsable Design et production chez Studio Base 2.

Jeu d’ombres chinoises

Elle se remémore sa première rencontre avec le Comité scientifique. « Avec Gabriele Allevi, on cherchait à raconter cette histoire des pèlerins. Béatrix Saule nous a ensuite présenté les gravures du Breydenbach. Nous avons tout de suite été emballés, il était hors de question de dénaturer des œuvres aussi magnifiques. Elles se suffisaient presque à elles-mêmes ! » Mais alors comment leur faire raconter une histoire, celle d’un pèlerin du XVème siècle ?

Arianna Zovadelli, Gabriele Allevi et Beatrix Saule dans les locaux de Studio Base 2.

Dans un autre musée, en Italie, Studio Base 2 avait déjà été confronté à un défi similaire. Leur proposition inspirée du théâtre d’ombres, remontant à l’antiquité chinoise, avait alors remporté un vif succès. Le théâtre d’ombres consiste à projeter sur un écran des figures produites par des silhouettes découpées que l’on interpose dans le faisceau lumineux qui éclaire l’écran. « Cela a de l’impact mais cela ne masque pas le fond, le contraste entre les gravures colorées et les ombres chinoises fonctionne à merveille » se réjouit Arianna. Et Béatrix Saule de compléter : « on a trouvé le procédé extrêmement intéressant parce qu’il évitait tout pittoresque. On ne voyait pas le visage des personnes, mais l’ombre chinoise mettait l’accent sur l’action et sur la gestuelle. Le narratif du multimédia passe ainsi à travers cette ombre. »

Du storyboard au shooting

Le concept graphique déterminé, le travail de rédaction du story-board a pu démarrer. Cette étape permet de déterminer l’ensemble des plans qui constitueront le multimédia aussi bien au niveau technique (cadrages, mouvements) qu’au niveau artistique (décors, musique et bruitage). Visioconférences et rencontres à Crema, petite ville lombarde où se trouve le siège de Studio Base 2, ont ainsi ponctué ces deux années de collaboration. « Cela a été un travail très long avec de nombreux allers-retours. Nous avons explicité, amendé et repris chaque scène. Quatre minutes, cela ne paraît rien mais tout a été regardé de façon très précise jusque dans le rythme des silhouettes, celui du défilement des gravures, l’adéquation des gestes » tient à souligner Béatrix Saule. Arianna l’illustre : « les ombres décrivent un pèlerin qui part de Venise et arrive en Terre Sainte. Il monte sur un navire, à l’arrivée il fait des rencontres. Nous avons dû préciser, main dans la main avec l’équipe du musée, de quel côté le pèlerin doit marcher, comment il doit être béni, quel chapeau et vêtement il porte etc… Bien qu’il s’agisse d’ombres, rien n’a été laissé au hasard, tout a été étudié pour être dans une justesse historique »

Le shooting a ensuite été réalisé sur « fond vert ». La technique est bien connue : il s’agit d’une toile de fond en tissu de couleur verte qui permet d’isoler le sujet principal de l’image pour le placer sur un autre fond lors de la post-production. « Le jour J, nous avons fait venir les acteurs, apporter les objets, trouvé les costumes les plus ressemblants…Les franciscains nous ont même prêté une bure pour mimer le Custode accueillant le pèlerin à Jaffa ou lui lavant les pieds au Cénacle ! » partage Arianna avec amusement.

Technique et musique au service de l’immersion

Le tournage terminé, restait encore à travailler l’effet immersif souhaité par l’équipe du musée. « Les ombres chinoises donnent du mouvement mais cela ne suffisait pas, alors nous avons réalisé une technique de parallaxe ». Concrètement, il s’agit du déplacement de différentes parties du décor en deux dimensions. « Nous avons découpé tous les panoramas du Breydenbach, certaines parties ont été rapprochées, d’autres éloignées. Il y a eu un travail énorme pour que ces gravures « prennent vie » et que l’on fasse ressortir les éléments souhaités » révèle Arianna.

visualisation du futur espace multimédia du musée

Elle complète : « on a aussi beaucoup travaillé le son car, à la demande du Terra Sancta Museum, le multimédia doit plonger le visiteur dans de l’émotionnel. Pour cela, nous avons collaboré avec un compositeur : Michele Lombardi. Il a mené une étude sur la musique du XVème siècle et crée un paysage sonore original pour nous emmener dans un univers qui n’est pas le nôtre. C’est une musique très expressive, elle a des accents particuliers, par exemple l’attaque de pirates, en pleine mer, est accompagnée par des tambours qui arrivent au loin puis se rapprochent ! »

enregistrement à Jérusalem des chants utilisés pour le multimédia

Et parce que la musique se devait de « coller à l’argument » – pour reprendre les mots de Béatrix Saule – l’équipe du musée, dans son zèle, a tenu à ce que le multimédia intègre de vrais chants enregistrés à Jérusalem par de vrais frères ! Une poignée d’étudiants du séminaire international de la Custodie de Terre Sainte a ainsi pris « le micro » et enregistré tour à tour le Veni Creator, la litanie des saints en latin, le Te Deum ou encore Aurora cælum purpurat. « Nous voulons que les pèlerins d’aujourd’hui s’approprient ce multimédia ; qu’ils puissent prendre conscience de cette longue chaîne de pèlerinages d’hier à aujourd’hui. Ainsi, en clôture du multimédia, lorsqu’on évoque la participation de notre « héros » à la procession du Saint-Sépulcre, le visiteur entendra Aurora cæcum purpurat, ce même chant que les frères entonnent depuis 800 ans. »

 

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