15 Mars 2024

Les questions soulevées par l’étude des objets médiévaux du Terra Sancta Museum

de AUGUSTIN BERNARD

La réalisation des catalogues des collections d’orfèvrerie se poursuit. Une partie de cette initiative est consacrée au « Trésor médiéval de Bethléem ». Le Comité Scientifique du Terra Sancta Museum peut compter sur l’expertise de Florian Meunier, Conservateur en chef au musée du Louvre et responsable des collections Haut Moyen Âge et art roman. Rencontre.

C’est l’un des chantiers les plus ambitieux actuellement mené par les experts du Comité Scientifique du Terra Sancta Museum. La publication des pièces d’orfèvrerie, initialement envisagée sous la forme d’un catalogue unique – réunissant des centaines de pièces datées du Moyen-Âge à l’époque contemporaine – va finalement donner lieu à la réalisation de plusieurs ouvrages ! Et ils mobilisent l’énergie d’un trio de conservateurs en chef du patrimoine ayant pour dénominateur commun le musée du Louvre. En effet, Michèle Bimbenet-Privat s’apprête à débuter la mise en page du catalogue consacré aux objets du XVIIème et XVIIIème siècle, Anne Dion travaille sur les objets des XIXème et XXème siècles et Florian Meunier s’est vu confier l’étude des objets médiévaux du Terra Sancta Museum – Art et Histoire. 

« Je devais initialement rédiger les notices relatives aux pièces médiévales comprises dans ce projet de catalogue d’ampleur, mais le caractère spécifique de cet ensemble s’est imposé à nous » se rappelle Florian Meunier. En effet, si les études de ses consœurs peuvent s’appuyer sur les poinçons gravés sur des objets plus tardifs et sur les conduites conservées par la Custodie de Terre Sainte pour en retracer l’origine, le spécialiste du Moyen-Âge doit compter sans ces indices.  « Nous ne disposons d’aucune documentation à même de nous permettre d’expertiser ce fonds » explique Florian Meunier. Il revient sur la démarche qui a abouti à la sélection des objets retenus pour ce catalogue : « Nous avons opté pour une approche plus liturgique qu’historique en écartant les pièces archéologiques médiévales présentées à Nazareth ou au musée de la Flagellation, déjà étudiées en profondeur ».  

ÉTUDIER LE TRÉSOR DE BETHLÉEM

Ce catalogue médiéval est ainsi consacré au « Trésor de Bethléem », un précieux ensemble d’objets liturgiques découverts à la fin du XIXème siècle à l’occasion de travaux de restauration du couvent des Franciscains et aux alentours. Il comprendra également des analyses d’autres objets du Moyen-Âge conservés par la Custodie de Terre Sainte, notamment un Christ doré du XIIème siècle et la célèbre épée dite « de » Godefroy de Bouillon. 

Le Trésor est composé d’une crosse émaillée, de trois chandeliers, d’un carillon à treize cloches, de plusieurs tuyaux d’orgue et d’une paire de bassins en cuivre gravés de représentations de la vie de Saint-Thomas, sans doute utilisés pour des ablutions dans un contexte liturgique. Deux exemplaires similaires provenant du même atelier, dans un état de conservation moindre, se trouvent dans les collections du musée du Louvre et du British Museum. 

Florian Meunier soulève les questions que pose cet ensemble disparate : « les bassins ont sans doute été fabriqué en Allemagne avant de rejoindre la Terre Sainte, la crosse est intrigante car elle est plus tardive que les autres objets du trésor : elle est du début du XIIIème siècle alors que le reste de l’ensemble remonte au siècle précédent ! En l’absence de documentation, un travail de comparaison avec des fonds conservés par d’autres musées devrait nous permettre d’en savoir plus sur cette collection ».  

Le Christ doré du XIIe siècle.

UNE PLURALITÉ D’EXPERTS 

Le conservateur du musée du Louvre n’est pas le seul expert mobilisé pour ce travail de longue haleine : « Je suis en attente d’une étude sur l’orgue et les cloches réalisée par un spécialiste de la musique médiévale et des résultats de recherches réalisées par des épigraphistes sur les inscriptions figurants sur les chandeliers et sur les bassins. Le catalogue comprendra également une étude de la Basilique de la Nativité durant les Croisades. Elle permettra de resituer le contexte de ce trésor qui témoigne de la présence d’une grande église ou d’une cathédrale européenne à Bethléem. » 

Interrogé sur l’épée dite « de » Godefroy de Bouillon et sa présence au catalogue, Florian Meunier insiste sur son enjeu symbolique : « c’est un objet qui témoigne de l’importance du rituel de l’adoubement des chevaliers du Saint-Sépulcre et un cas typique d’objet mythique attribué à une figure célèbre. Il est totalement lié au Saint-Sépulcre, c’est une notice en soi ! ». L’épée sera exposée dans la salle du musée dédiée à cet ordre de chevalerie avec les éperons et la croix pectorale utilisés lors des cérémonies d’adoubement. Les visiteurs pourront également y admirer le registre des chevaliers tenus par les custodes de Terre Sainte jusqu’à la restauration du Patriarcat latin de Jérusalem en 1847. 

Et l’expert de poursuivre : « cette épée pose aussi la question de l’héritage de la période croisée dans les collections franciscaines », sujet qui trouvera toute sa place dans les salles dédiées à cette époque avec un intérêt particulier pour sa liturgie. Suivant cette approche, la salle dite du « cloître musical » exposera le carillon et l’orgue tandis que le reste du Trésor sera visible dans la salle dédiée à la Garde des Lieux saints au côté d’autres pièces comme une maquette palestinienne en nacre du Saint Sépulcre. 

Feu le Fr. Sergey Loktionov OFM, archiviste de la Custodie de Terre Sainte et membre du Comité scientifique, présentant l’épée de Godefroy de Bouillon.

UN PATRIMOINE VALORISÉ PAR LA RECHERCHE

Le mystère qui enserre l’origine et l’utilisation de certains de ces objets médiévaux, comme le Christ doré du XIIème siècle, est loin d’en diminuer l’intérêt pour l’expert : « cet ensemble constitue une piste pour étudier le contexte historique qui lui est propre. Le travail réalisé à l’occasion de ce catalogue apportera des précisions sur les matériaux utilisés, les datations et permettra de ne plus appréhender ces objets de la même manière. Leur étude par des historiens de l’art pourra leur conférer une valeur patrimoniale et une profondeur historique propre aux œuvres de référence d’un musée. Ce travail, fruit d’études rigoureuses et d’échanges entre les membres du Comité Scientifique réuni par le frère Stéphane Milovitch, confèrera à ces objets une véritable singularité ! ».

À l’origine du premier « musée des pères franciscains » initié à Jérusalem en 1902. Cet ensemble médiéval, bientôt enrichi d’une documentation détaillée, occupera une place centrale parmi les collections du futur Terra Sancta Museum – Art et Histoire.

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